Pollen, fiction
Passer au-delà Il n’y a pas de bord,
de limite, au chagrin,
où l’effet de la mort
sur l’homme prenne fin.
Pas de bord, pas de rive
ou s’interrompe le
malheur, l’intransitive
passion des mains, des yeux.
Dur, ce contact avec
la mort, la mort, d’un coup.
Ça rend le souffle sec,
et le coeur comme fou,
là, ce qui bat derrière
l’os, et qui vient jeter
contre cet ossuaire
un sang bouleversé.
Mais aucune limite
au malheur, et pas lieu
de s’arrêter là, quitte
à s’écrouler si vieux
que la blancheur des os
vous serve de candeur.
Vent et soir, à défaut,
vont lui faire une fleur.
Le vent et la nuit claire,
qui déjà ne l’accablent
presque plus, vont en faire
une fleur véritable.
Sa pensée en désordre,
ses cheveux en pétales,
et le fil à retordre
qui lui donnent de sales
remontées de la haine,
remontées de la honte,
que le vent les reprenne
à son fluide compte.
Fleurir ainsi Tout l’homme, en de la fleur,
en du végétal, se
sent réduit. Sauf le coeur,
gros, qui rechigne un peu.
Peu à peu, l’homme accepte
l’option botanique.
Fleurir, c’est moins inepte
que gésir, moins tragique,
et moins nauséabond.
Fleurir, se prolonger
dans la végétation
réduit la dureté
cassante de ce qui
va nous rester du corps,
cette haleine durcie,
lorsque est venue la mort.
Confiant, net, il se livre
à sa métamorphose.
Et tout ce mal de vivre
être fleur l’en repose.
Fleurs coriacées des bords de mer Toi, mon frère, Philippe,
tu préférais la mer
aux muguets, aux tulipes.
A tout repli, l’ouvert,
le vaste, et le grand frais,
le bleu profond, le large,
dont tu élargissais
l’étroitesse des marges.
Nous, quel chagrin ce geste
de te faire descendre
dans la mer. Et l’eau reste
remuée de tes cendres.
Tout ce pollen de ton
corps brûlé, avec elle,
haut, l’évaporation
de la mer l’amoncelle.
De sorte que ça tient
de toi l’eau des nuages,
le blanc, le gris de lin,
arrosant le rivage.
Et les fleurs coriacées
qui s’accrochent au bas
des bourrasques salées,
aussi, tiennent de toi.
Profus recyclage des corps Ainsi, du corps humain,
les hommes se détournent,
et sur d’autres terrains
désormais ils séjournent.
Au fond des paysages
terrestres, c’est par foules
fleuries que leur passage
à trépas se déroule.
C’est avec ce qui meurt
en eux qu’ils embellissent,
qu’ils deviennent des fleurs
sur lesquelles tout glisse.
Parfumés, sveltes, nus
comme le sont les fleurs,
les voici devenus
des taches de couleurs :
du jaune, du doré,
du rouge, du carmin,
ou du bleu contrasté
comme les fleurs de lin…
Leur nuque ainsi au temps
ne donne plus de prise
à son dénigrement.
Elle s’idéalise.
Le temps sur la douleur
met une absence, un baume,
d’une telle pudeur
qu’il en fait un arôme.
Sentiments et cheveux,
effroi, peur animale,
désir, leur tiennent lieu
de feuilles, de sépales.
Il se creuse en calice,
le menton que la main
( pour peu qu’on réfléchisse
à tout cela ) soutient.
Bien-sûr l’efflorescence
utilise leur bouche
et debout réagence
les lèvres qu’elle couche.
Ils ont tant d’avenir,
de face ou de profil,
dans les fleurs : pour choisir,
comment les morts font-ils ?
Sève et cendres Quelques impatients
recourent au moyen
le plus direct, leur sang
devient leur sève, tiens :
il est blanc, comme l’est,
comme l’était, le beau
sang de la vénusté
s’écoulant de la peau
merveilleuse. Autres moeurs,
autres sangs.
Mais d’immenses
peuples font à l’ampleur
du temps plus de confiance :
Pour les vies disparues,
que la mort reprojette,
à la rivière, au flux
de l’eau ils s’en remettent,
et des morts qu’ils brûlèrent,
que parfumait leur nom
de bois odorifère,
de ces os brûlés, font
des os-fleurs, de la vie
différée, douce et tendre,
par des cérémonies
de rivière et de cendres
où se décontamine
l’horreur du cadavre à l’
odeur de la résine
et du bois de santal.
Les yeux, vers le sel Les hommes sur le pas
des rivières, des flux
de tous ordres, leur voix
dans leurs yeux s’est perdue.
Et leurs yeux /
ainsi que
des fleurs coupées au fil
de l’eau, à fleur d’eau, bleu
sur gris, descendent, ils
descendent vers le grand
bleu, où les fleurs, les cendres
jetées, ce qui descend
va, plus au fond, descendre,
jusqu’au fond, sous la sur-
face, les yeux, les os
des crânes les plus purs
brûlés, au fil de l’eau
devenus ce pollen
des vagues, des courants,
ces visions de l’Amen
où s’abîme le chant.
Deuil, genoux Il y a ceux qui restent.
Pas encore des fleurs.
Le chagrin dans leurs gestes
violente une pudeur
atroce, les retient,
au bord de leur peau,
leur visage d’humains,
dont seuls partent les yeux
aveugles, écorchés
car ils sont les genoux
sur lesquels on se met
pour sentir les fleurs, nous.
Les yeux sont de terribles
genoux, en sang, fléchis
à prier l’impossible.
Des pliures de cri.
Dans l’herbe, nous, regard
osseux plié devant
ce presque-ne-plus-voir,
ce sentir de vivants
qui nous reste.
Le deuil :
du flou, de la paupière
que le genou de l’oeil
écrase sur la terre.
Gestuelle de l’herbe Si, allez, si, l’amour
fera de cette absence
même une autre présence,
heureuse et fraîche, pour
peu qu’on ait la finesse,
et la maturité
nette, forte, de vrais
hommes, que la caresse
maritime de l’air
nous bouleverse comme
si nous étions moins homme
qu’herbe haute, moins chair
que frissons, ou fragrance,
ou gestuelle fraîche,
et que nos voix n’empêchent
plus d’agir le silence.
/ L’amour
à l’autre nous rallume,
et de ce que nous fûmes
trace un autre parcours.
L’amour emporte tout
le pollen qui recouvre
nos gestes /
Le temps, l’amour, pareil.
C’est l’angle, au deux versants
à peine différents,
d’une proue, d’un éveil,
d’un visage /
Et l’homme se dégage
de la peau, de sa mue,
il est à vif, à nu,
à même son courage.
Il s’étonne, debout,
aérien, affermi
par la sauvagerie
de la terre. Lui : vous.
Il devient. Devenez
puisque mourir c’est fait.
Chanson Que les frissons d’oiseaux
et les foules humaines,
dont le poids s’équivaut,
meurent, oui, et deviennent.
Le parfum devient chant,
la mémoire devient
l’aile mise devant
les plus noirs lendemains.
L’univers dans nos têtes
reconstruit la beauté
sous la forme parfaite
de la fleur de tiaré.
En nous se relevant,
plus jeune, presque imberbe
l’homme laisse dans l’herbe
sa part d’écrasement.
La langue sur le buste
et le chant sur la langue.
Et la mort, de sa gangue
de boue, se désincruste.
L’univers dans nos têtes
reconstruit la beauté
sous la forme parfaite
de la fleur de tiaré.